mercredi 5 février 2020

LA MONTAGNE SACREE (4) La gentiane

La gentiane est la plante la plus symbolique de la montagne. D’aspect rustique et coriace, elle ne se distingue pas par la rareté et la délicatesse que l’on trouve chez certaines espèces végétales d’altitude qui, frêles et éphémères, s’offrent au regard du promeneur comme une apparition et un enchantement.
Au contraire, on la trouve bien présente, comme une évidence, épanouie et tenace sur le relief des Alpes et du Massif Central, herbacé de couleur vert tendre aux feuilles charnues et lisses, aux tiges couronnées de sachets graminés d’où éclosent en été de belles corolles jaunes, composées de sortes de lobes hérissés. Dans le secteur de la vallée de l’Aspre, la gentiane se rencontre à partir de 850 m d’altitude environ. Curieusement cette limite se distingue de manière très précise, comme par une frontière au milieu d’un pré par exemple, comme ce fut le cas sur la route du col St Georges. J’en aperçus également en bonne quantité de part et d’autre des hauteurs de la vallée, comme à Beauclair, où leurs tiges nombreuses se dressaient parmi les hautes herbes foisonnantes et ces profusions d’espèces florales multicolores qui illuminent les prairies.
A partir du col St Georges qui livre une belle vue sur les crêtes du Peuch et du Fau, la route descend au sud le long du ruisseau de la Bertrande puis reprend son ascension en direction du col de Legal, en passant par le hameau de Boudou, perdu dans les hauteurs, et en serpentant à travers une superbe forêt de feuillus, profonde et sauvage.
Au col de Legal (1200m), la route amorce un long circuit panoramique au-dessus de la vallée inférieure de Mandailles. C’est aussi à partir des hauteurs du col de Legal que s’ouvre une perspective éblouissante aux confins du ciel et de la terre. Les crêtes s'étirent à perte de vue en gigantesque arc de cercle, reliées par le Puy Chavaroche (1739m), le col de Redondet (1640m), la Roche Taillade (1654m) située à l’ouest du Puy Mary ; le Roc des Ombres (1633m) et le Puy Violent (1592m) dont le versant Ouest rejoint la vallée de la Maronne et le versant Sud la vallée de l’Aspre.
C’est ici la région des estives, le royaume des prairies célestes où paissent les troupeaux carillonnants, lointains, éparpillés dans ce chaos de paix, de silence et de solitude.
La gentiane trouve sur ces hauteurs son terroir de prédilection. Elle y abonde dans les herbages où affleurent ça et là des roches basaltiques. Elle y puise pendant de longues années les vertus d’un sol volcanique, puissant et sauvage, dont l’homme fortifie son coeur. Car la gentiane est à l’image de cette terre rude et magnifique : Elle est la force, la patience et la plénitude de la grande nature.
Il faut attendre en effet une dizaine d’années, voire selon certains une trentaine d’années, pour que le rhizome parvienne à maturité. Jadis, à la fin de l’été, des journaliers, les gençanaïres, parcouraient les montagnes armés de leurs fameuses »fourches du diable », énormes bidents dotés d’un cale-pied, et fouillaient le sol pour extirper le fruit de leur labeur à la force du bras.
La gentiane a la saveur rugueuse de la terre, elle est le sang hercynien, la sueur âpre et amère du courage, le sommeil et la force du temps, l’élixir d’éternité.

Honorius / Les Portes de Janus/1999

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